Chasseur de légendes 89
Journal de bord d'un chasseur de légendes
Chapitre 89
Le Lion et le Dragon
Autant le dire tout de suite, le Luxembourg n'est
pas une contrée réputée pour ses fées, ses fantômes
et autres créatures merveilleuses, la cité trônant au
centre du Grand-Duché se veut sérieuse et attaché à
la terre qui supporte le poids de toutes les divagations
humaines, c'est donc en terrain carthésien que je
m'aventurait. La présence d'une cathédrale et de
plusieurs églises de belle importance indiquait les origines
religieuses de la ville, impossible de ne pas y dénicher
quelques merveilles du symbolisme et quelques mystères
de l'hermétisme.
Il y a un curieux récit populaire relatant
l'origine de la ville de Luxembourg, une histoire
certainement affiliée aux mythes germaniques, qui
voudrait que la cité soit batie sur le dos d'un énorme
dragon endormi dans un profond canyon. La ville
haute correspondrait donc à cette description pour
le moins loufoque, le canyon en question serait la vallée
de la Pétrusse et celle de l'Alzette un peu plus loin. On
pourrait ajouter que les flèches de la cathédrale
symboliseraient les cornes et les tours pointues, les
extrémités des ailes et de la queue pour donner un
ensemble vraiment biscornu.
Le dragon, symbôle de puissance et de vitalité dans
beaucoup de croyances serait donc l'un des animaux
fabuleux fondateur du Grand-Duché, l'autre étant le
Lion, la force brute et le charisme, représenté par
Saint-Marc que les catholiques. En effet, en étant
un tant soit peu attentif, nous pouvons dénicher beaucoup
de sculptures et de représentation diverses de l'animal
qui est l'emblême même du pays. Tout comme le dragon,
le lion est souvent adoré dans maintes croyances, ces deux
animaux font même partis des calendriers astrologiques
(chinois pour le dragon et chrétien pour le lion).
En revanche, aucune trace du dragon, ni dans
les écrits, ni dans les représentations, ou alors le
bougre est vraiment discret. Ce qu'il y a d'étonnant
au Luxembourg, c'est le mélange des genres, le
classique vieillot se mèle avec le contemporain
moderne pour donner naissance à un bestiaire pour
le moins atypique. Cathédrale en tête, les rencontres
avec les êtres de pierres et de marbres laissent
rarement indifférent.
Place des Martyrs nous assistons à un curieux
spectacle offert par les créations d'un artiste
que je crois être Igor Mittoraj (sans certitude
mais c'est assez ressemblant), face au siège d'
Arcelor (première photo), les visages et les
silhouettes occupant le parc se dessinent dans
notre imagination pour laisser place à un univers
fantasmagorique.
En parcourant cette verte place du souvenir, je
me remémore l'histoire du célèbre Monument
du Souvenir ou Gëlle Fra situé à l'extremité sud
de la Ville-Haute et de ses fortifications. Dédiés
aux luxembourgeois tombés durant les deux Guerres
Mondiales ainsi que celle de Corée, il jouit d'une
petite anecdote assez curieuse. Voici en gros ce
qui s'est passé.
Durant l'occupation nazie en 1940, les autorités
décidèrent de faire abattre le monument inauguré
en 1920. La femme en or se dressant au sommet de
l'obélisque de 21 m ainsi que son socle fûrent détruits.
Le même jour, le 19 octobre 1940, l'armée allemande
tenta de faire tomber l'obélisque mais ce fût un
échec, les cordes cédèrent. Les étudiants et ceux
de l'opposition luxembourgeoise manifestèrent et
défilèrent dans la ville. Quelques jeunes seront
arrêtés, interrogés et battus. Il faudra attendre le
21 octobre pour que le monument soit entièrement
démoli, mais l'aura qui semblait protéger le Gëlle Fra
jusque là ne disparu pas pour autant puisque ce sont
les habitants qui fûrent protégés par cette
mystérieuse force.
Le même jour, 48 personnes fûrent arrêtées et
passées à tabac mais les habitants fûrent plus
unis que jamais et montrèrent une hargne et une
détermination ainsi qu'un patriotisme à toute épreuve.
L'aura de Gëlle Fra est toujours présente sur la
ville, les habitants fûrent à nouveau unis et
hostile quant à la décision d'envoyer le monument à
l'exposition universelle de Shanghai en octobre
2010, soit 70 ans après la destruction du premier
monument. Gëlle Fra est encore aujourd'hui un
immense symbôle dans le coeur des luxembourgeois,
chanson, contine, médaille ou encore parfum, l'aura
de la femme en or veille toujours sur le Grand-Duché.
Une autre anecdote me vint à l'esprit, celle de
l'hymne national. Il parait que lors d'une
importante manifestation sportive, on demanda
de jouer l'hymne national mais à ce moment
personne ne savait le chanter ou même le jouer.
Lorsque les musiciens commencèrent à
improviser, le résultat sonna tellement faux et
fût tellement désagréable aux oreilles que la
foule et les coureurs se mîrent à pleurer.
Heureusement depuis ce massacre auditif, le
Luxembourg jouit de son propre hymne national
et c'est bien mieux ainsi.
Il n'y a rien de surnaturel à ce récit me diras
t'on mais il fait parti du folklore luxembourgeois.
Et s'il y a bien un lieu témoin de tout ces évènements
passés, c'est bien la cathédrale Notre-Dame de
Luxembourg, se dressant fièrement du haut de la
vieille-ville. Contemplant la ville basse et ses
industries et embrassant l'avenir et ses tours du
Kirchberg, la cathédrale et ses magnifiques flèches
abritent merveilles secrêtes et chimères cachées,
tombeaux glorieux et pierres d'un autre âge.
Après avoir admiré le choeur, me voici dans la
calme et sereine crypte, scrutant les gisants et
jetant timidement un regard sur les tombeaux des
grandes duchesses de ce pays. Je ne pense pas qu'un
quelconque souverain revienne hanter les lieux mais ce
genre d'endroit est toujours impressionnant à voir et
à effleurer du bout des doigts.
Alors certes, comme je le disait au début de ce
modeste article, la visite ne fût aucunement ponctuée
de rencontre surnaturelle et fantastique. Mais il ne
faut pas négliger les nombreux témoins silencieux qui
finalement ont tant à dire à partir du moment ou l'on
ouvre son esprit et son troisième oeil. Qui sait, peut-être
même est ce celui-là qui nous montrera le dragon assoupi.